Graffiti, HipHop et Tragédie.

Publié le par The Show

Graffiti, HipHop et Tragédie.



J'ai grandi en banlieue parisienne et je cotoie la culture HipHop depuis tout petit.
Je suis né en 1985, une année qui rappelera de vieux souvenirs aux premiers acteurs du mouvement alors émergeant en france. La danse, le rap et le graffiti balbutient encore. Dix ans plus tard j'obligerai mes parents à se taper du NTM dans la voiture..

Le rap a donc été mon premier contact avec le HipHop. Puis je l'ai laissé tombé, j'ai voyagé quelques années entre reggae, chanson et rock'N'Roll avant d'être happé par le Jazz.

Et un beau jour, au cours d'une transe extatique mémorable, j'eu une illumination qui marqua un tournant dans ma vie : le graffiti était fait pour moi. Moi qui aimait tant m'exprimer justement quand ça faisait chier tout le monde, moi qui était depuis longtemps attiré par la création plastique sans pour autant avoir fait l'effort de travailler dans ce sens.. : j'avais enfin trouvé mon école!

Ce n'est qu'après avoir vidé de nombreuses bombes et cramé pas mal de feuilles que je me suis aperçu que j'étais devenu (ou en train de devenir) à mon insu un acteur du HipHop. Ce n'est pas que le graffiti soit forcément HipHop mais disons que je sentis vite que c'était le côté HipHop du graffiti qui m'avait attiré.
D'ailleurs je me remettait à écouter de plus en plus de rap français, qui devenait une source d'inspiration, et m'interessait aux productions américaines.

Pour rassurer mes parents je commençais des études de philosophie (en parallèle d'une passion qui me prend presque tout mon temps). A force de lire des bouquins et de gratter du papier, j'eu vite l'envie d'écrire sur le graffiti.
Mais quel graffiti ? Bien sur il me fallait rendre hommage au HipHop..

Le graffiti est avant tout une expression urbaine. Dès lors que l'homme a découvert la société et la ville il y a trouvé des inscriptions sur les murs. Un graffiti souligne la volonté de son auteur d'afficher publiquement sa pensée ou sa création. Pour y parvenir, le graffiteur utilise l'écriture, qui lui permet de "graver" son oeuvre.
En effet l'écriture est un moyen d'expression qui vise un public beaucoup plus large que la parole, de par sa matérialité elle peut circuler plus facilement et plus longtemps sans être déformée.

Le graffiteur utilise l'écriture pour s'exprimer donc, mais n'utilise pas le support attendu. Il faut rappeler que l'homme s'est d'abord exprimé sur les murs, bien avant qu'il n'invente l'écriture et le papier. Ecrire, ou dessiner sur un mur est donc certainement plus "naturel" que le faire sur du papier ou un ordinateur.

Bien avant que le graffiti ne connaisse la véritable explosion d'il y a une trentaine d'années, l'homme a compris que graver des symboles sur les murs lui permettait de défier la contrainte que le temps lui imposait. Bien que son message soit plus difficile à décripter, il peut encore toucher des milliers d'années après sa mort pour peu qu'il soit conservé. En écrivant sur les murs, le graffiteur perpétue une tradition millénaire, plus ancienne que l'écriture elle-même, qui nous ramène aux sources de la création artistique.

Car le graffiti n'est pas simplement une expression urbaine. Ses défenseurs n'ont de cesse de rapeller sa prétention artistique, souvent mal comprise. Le graffiti est aussi une représentation. D'ailleurs certains graffiteurs ne font que dessiner ou utiliser des outils graphiques mais "n'écrivent" pas.

En tant que représentation, le graffiti est d'abord la création d'un mythe. Chaque graffiteur trouve un pseudonyme, ou un simple mot qu'il s'approprie, et va construire tout un univers autour de cette individualité qu'il va créer de toutes pièces. Ce n'est d'ailleurs pas lui-même que le graffiteur va chercher à mettre en avant à travers sa pratique, contrairement à ce que peuvent penser beaucoup de gens, mais bien cette individualité imaginaire. A travers ce mythe le graffiteur vas pouvoir developper une esthétique particulière, aisément reconnaissable : son "style".

Ensuite le graffiti, et plus particulièrement le tag , est souvent une représentation de la violence. C'est sur ce point particulier que cette pratique est généralement mal comprise, parfois par les graffiteurs eux-mêmes.
Le graffiti est par définition, et très concrètement, une création picturale utilisant un support non-autorisé. C'est un viol. Un viol par la peinture, l'écriture et l'expression.

Par comparaison on pourrait imaginer que le crime commis par un homme tenant un discours génant (mais pas forcément "agressif") dans votre salon est de même nature. Le crime de cet homme n'est bien sur pas de tenir le discours qu'il tient, mais bien évidemment de le tenir dans VOTRE salon. C'est par sa présence qu'il vous manque de respect. On le voit bien, le graffiti s'attaque exclusivement à la propriété et la modifie sans en alterer la fonction.
C'est un viol, un viol qui dérange, mais un viol non-violent.

Dans l'imaginaire populaire le viol est forcément violent. On a tous l'image de l'agression sexuelle (qui est un viol doublé d'une agression physique), et certains se sentent presque physiquement agressés par les graffitis.
En vérité les graffiteurs sont très forts. Jouant avec les lettres et les calligraphies ils ont développé une esthétique extremement communicative. Si les passants ne déchiffrent que très rarement leurs inscriptions, ils ressentent à coup sur la violence qui suinte des murs de leur ville.

Les graffiteurs représentent si bien la violence qu'il sont parfois considérés eux-même comme des individus violents. Mais la violence qu'ils représentent n'est pas leur propre violence mais bien la violence de leur environement. Il n'est d'ailleurs pas étonnant que le graffiti connaisse une grande popularité à une époque et dans des lieux ou on essaye de dissimuler cette violence derrière de plus en plus de beaux discours, de belles vitrines pleines de couleurs, de subtiles illusions médiatiques, des tonnes de plastique et des litres de peinture grise..

Cette affichage ostentatoire de la violence du monde est souvent la première des revendications du graffiteur (qu'il l'assume ou non), volonté qu'il partage, à mon sens, avec l'ensemble du mouvement Hip-hop, et peut être même avec tout artiste contemporain.

Expression urbaine, tradition millénaire, mythologie, recherche esthétique, contestation de la propriété, représentation de la violence et revendications..
Pour finir, et pour rester fidèle à cette tradition protégee par ses codes et ses abstractions, je n'ai plus qu'a souhaiter aux plus philosophes d'entre vous d'être inspirés par ma conclusion :
Le graffiti allie la beauté plastique naturelle, "apollinienne", à l'ivresse expressive, contestataire et renvendicatrice, "dionysiaque". Travaillant autour du mythe moderne à partir d'une tradition pré-historique, le graffiti "HipHop" est pour moi une véritable renaissance du Tragique nietzschéen, une sorte de révolution picturale..

Les mots sont les ombres de nos maux.

(Lille, 30/06/07)

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article